J’ose une confidence.
J’aurais parfois aimé tirer un autre numéro à la loterie des passions. C’est atroce à dire, mais c’est la vérité.
Parmi toutes les passions possibles, il a fallu que j’en attrape deux qui font de moi quelqu’un de sédentaire et qui exigent que je reste assise de longues heures : la lecture et, depuis 2015, le tricot.
Ah! Qu’aurais-je donné pour tirer la passion du sport! Nombre de personnes autour de moi l’ont attrapée et je les envie secrètement. Ce que ça semble bon de courir et de bouger ainsi, d'être à bout de souffle, de souhaiter aller toujours plus loin. Ce qu'il ont l'air heureux ces gens qui courent. Ça te brasse pas juste les bonnes hormones, le sport, ça t'amincit, ça te garde en phase avec l'image qu'il est sain d'entretenir. Qu’ils sont chanceux ceux qui ont tiré cette passion du sport! Ils sont dégagés d’un poids si lourd. Oh! Si lourd…
Si je l’avais tirée, cette passion du sport, je serais plus mince et énergique, moins dépressive. On m’envierait. On me ferait de beaux compliments – « qu’est-ce que cette robe te va bien! » « oh! mais tu as encore perdu du poids, je me trompe? » « décidément, je t’admire! »... J’aurais l’air en santé. Je finirais certainement par ne plus manger ceci, cela. Surtout, je pourrais enfin me regarder dans le miroir et apprécier un peu ce que je vois. Je pourrais acheter les vêtements dont je rêve. Je m’endurerais un peu. Je ne me cacherais plus. Je n’aurais plus honte.
Si j’avais eu cette chance, oui, ce serait tellement formidable. Je cesserais de me culpabiliser, parce que j’aurais encore pris un verre de vin sur semaine, parce que j’aurais encore mis les mains dans le plat de chips, parce que je ne serais pas allé m’entraîner, parce que j’aurais fait une sieste au lieu d’aller me bouger les fesses, et parce que je serais restée plusieurs heures, confortablement assise dans mon fauteuil, à lire ou à tricoter.
Mais quelles sont merveilleuses ces heures à me laisser dériver au fil des mailles! Des heures douces et magiques, durant lesquelles je me perds dans mon tricot, durant lesquelles je quitte mon corps pour plonger au plus profond de moi, dans un espace ouvert sur moi. Un espace où je m’étonne à chaque fois d’être si belle, si sensible, presque lumineuse. Un lieu protégé où je me sens si bien, enfin dégagée du lourd poids des attentes, des miennes, tout comme celles de ma société que je fais malheureusement miennes. Dans ce lieu, je flotte, je suis si légère. Oh! Si légère!
Mais vient toujours le moment où il faut poser le tricot. Et revenir sur terre, retrouver son corps, subir le poids de sa carcasse. Et se maudire un peu d’avoir tiré le mauvais numéro à la loterie des passions. Et croiser par accident un miroir. Et retrouver une image détestée.
Une image entêtante et douloureuse qu'il faudra vite oublier en replongeant dans le tricot. Pour qu’enfin on se retrouve, plus belle, plus légère!
Ah! Qu'aurais-je donné pour tirer la passion du sport… Ce que je serais… Ce que je pourrais… Ce que j’oserais…!
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